1897 – 1997
L’histoire des transports urbains dans l’agglomération Grenobloise remonte à la seconde moitié du siècle dernier, lorsque vers 1865 un certain Émile Cotte ouvre un service de voitures de place depuis le centre de la ville en direction de la gare PLM (Paris-Lyon-Méditerrannée) d’une part et les environs d’autre part. À la fin de 1882 M. Farçat, important entrepreneur de transports, fait circuler des Cars Ripert, sorte d’omnibus sans impériale à plate-formes ouvertes extrèmes, tirés par deux chevaux, sur cinq itinéraires dont le point de départ central est la place Grenette.
Les parcours vont vers le pont du Drac, la Bajatière, le petit séminaire du Rondeau, La Tronche et Saint-Martin-d’Hères.
Pour étoffer et moderniser ce réseau, à partir de mars 1875 —et jusqu’en 1898— de nombreuses demandes de concessions seront déposées : 29 dossiers concernant 70 parcours pour seulement 11 trajets à exploiter, avec 9 modes de traction différents !
Parmi ceux-ci, MM. Merlin et Chassary, futurs responsables de la SGTÉ, Société Grenobloise de Tramways Électriques, proposent entre novembre 1894 et décembre 1895 huit lignes de tramways électriques. Ce mode de traction est d’une modernité révolutionnaire. En effet, la première installation électrique à Grenoble remonte seulement à 1888 : quelques ampoules branchées sur la place de la Constitution (aujourd’hui place de Verdun) pour le bal du 14 juillet. Lorsque la SGTÉ est constituée, le 13 avril 1897, de rares carrefours seront équipés d’une seule lampe ; le bec de gaz et la lampe à pétrole chez les particuliers auront encore de beaux jours devant eux. Pour situer la nouveauté, il faut noter que ce n’est qu’en 1907 que le lycée de jeunes filles (aujourd’hui lycée Stendhal) recevra l’électricité; celui de garçons (lycée Champollion) attendra la fin de la Première Guerre mondiale, en 1918 !
Lorsque la SGTÉ met en service ses deux premières lignes de tramways électriques le 17 avril 1897, depuis la place Vaucanson en direction d’Eybens et de Varces, il existe deux trajets de tramway à vapeur (Grenoble / Uriage / Vizille depuis juillet 1894 et Grenoble / Sassenage / Veurey depuis janvier 1895).
Rapidement le réseau SGTÉ se développe : un prolongement sur Claix (depuis Le Pont Rouge) en novembre 1897, puis 4 lignes en 1900, sans l’aval de l’administration, qui interviendra le 26 décembre suivant. Depuis la Place Grenette ces parcours vont en direction de La Tronche, Voreppe avec embranchement entre le Pont de Vence et La Monta, Gare PLM et Cimetière Saint-Roch. En 1901 une septième ligne SGTÉ relie la rue Félix Poulat au Pont du Drac. En septembre 1902 la SGTÉ reprend l’exploitation de la ligne à vapeur de Veurey, qu’elle électrifiera jusqu’à Sassenage un an plus tard et jusqu’à Veurey en octobre 1905. Enfin, en 1907 un prolongement est réalisé de Varces à Vif, au cours duquel est tenté un essai de traverses en béton d’une centaine de mètres dans la plaine de Reymure. A cette époque, le réseau totalise 60,33 km.
Après un référendum organisé en mars 1907 par la commune de Pariset (commune qui se divisera en deux : Seyssinet-Pariset de Saint-Nizier-du-Moucherotte, aujourd’hui) en vue de s’assurer le soutien politique des contribuables, avec garantie financière de la commune en cas de déficit, soit 1900 francs par an pendant 60 ans, le Département de l’Isère inaugure le 1er mai 1911 (ce n’est pas encore le jour de la Fête du Travail) une ligne de trams électriques, appelée « la Navette » entre Grenoble et Seyssins via Seyssinet.
C’est le savoir-faire de la SGTÉ qui est mis à contribution pour exploiter ce nouveau parcours : le matériel roulant, les voies, les installations fixes et les gares restent la propriété du Département de l’Isère.
Après de grosses difficultés géologiques à surmonter, puis la première guerre mondiale qui entraîne d’insurmontables restrictions tant en matériel qu’en personnel, est inauguré en juillet 1920 le prolongement de cette ligne de Seyssins jusqu’à Villard-de-Lans, appelé ligne GVL pour Grenoble-Villard-de-Lans. La construction fut terminée avec l’aide de prisonniers Allemands. Longue de 39 km, avec une pente maximale de 68 ‰, elle part de Grenoble (212 m d’altitude) pour grimper jusqu’à Saint-Nizier (1170 m) avant de redescendre en douceur sur Lans (1020 m) pour atteindre Villard-de-Lans à 1023 m d’altitude.
Comme pour la ligne de Seyssins, c’est la SGTÉ qui assure l’exploitation ; tout le reste appartient au Département. Il faut noter que c’est sur ce parcours que circulent les seules motrices à bogies du réseau SGTÉ-GVL.
Pour en revenir au réseau SGTÉ de plaine, en juin 1923 est construit un prolongement de Vif aux Saillants du Gua, pour lequel il faut utiliser de la dynamite afin de casser la gangue de béton formée par 50 années de transport de ciment d’une usine toute proche !
En 1925, dans le cadre de l’Exposition Internationale de la Houille Blanche la démolition de la Porte des Alpes (approximativement au carrefour place Paul Vallier / boulevard Jean Pain actuels) entraîne le déplacement des voies dans ce secteur et l’installation d’une boucle provisoire de retournement. Un ultime prolongement de quelques centaines de mètres devant le cimetière Saint-Roch pour la Toussaint 1925 clôture le développement du réseau. Alors à son apogée, avec les parcours GVL de Seyssins et de Villard-de-Lans, le réseau SGTÉ atteint 103,33 km de lignes, troncs communs cumulés, auxquels il faut rajouter 3 services marchandises SGTÉ, assurés avec deux tracteurs électriques spéciaux, pour les abattoirs de Grenoble et les carrières de Pra-Paris (Sassenage) et de Comboire (Seyssins). Le parc de matériel roulant se compose alors de 47 motrices, 54 remorques, 3 fourgons à bagages, 2 tracteurs et 81 wagons, essentiellement des tombereaux et plate-formes.
Face à la concurrence des automobiles et des autocars qui commence à se développer, la SGTÉ engage, en 1927 pour une période de 10 ans, un vaste programme de modernisation, appelé « Plan de réadaptation ». Il concerne à la fois le matériel roulant (8 nouvelles motrices sont acquises plus une quinzaine de petites remorques; 11 anciennes motrices sont entièrement reconstruites dans les ateliers même de la SGTÉ), les voies dans Grenoble sont modernisées (80 aiguillages refaits, 6 voies d’évitement créées pour permettre le croisement des trams sur ces lignes qui sont toutes —à l’exception de celle du Cours Berriat— à voie unique, une signalisation électrique dans le secteur très chargé de Grenette / Poulat accélère la marche des trams. L’ensemble des voies traversant les villages est remplacée : le rail Vignole par du rail Brocca. Enfin toute la billetterie est modernisée, avec introduction du « ticket accordéon » accompagné d’une réduction générale pouvant atteindre 50 %. Tout cela donne un temps un ballon d’oxygène à l’exploitation SGTÉ, dont la fréquentation remontera de 30 %. Mais la situation se dégradera à nouveau puisque dès 1936 apparaît un premier déficit d’exploitation, qui se répètera l’année suivante, engageant le Département de l’Isère à ne plus subventionner le réseau dès 1938.
C’est à ce moment-là qu’est mis au point un drastique « Plan d’assainissement », accompagné de nombreux licenciements, qui entraîne la suppression de toutes les sections de lignes de tramways au delà de 6 à 8 km. Ainsi disparaissent, au profit d’autocars non SGTÉ, les destinations de Voreppe, Noyarey / Veurey, Vif / Les Saillants, et Lans / Villard-de-Lans. De plus, à la suite du Front Populaire, la Loi des 40 heures de travail hebdomadaire oblige à fermer les gares de trams des sections non touchées. Seules subsistent celles de la place Grenette et de la rue Félix Poulat.
La Seconde Guerre mondiale apporte son cortège d’abominations. Le réseau SGTÉ, comme tout le monde, en subit les nombreuses restrictions. Toutefois, à la demande de la Ville de Grenoble, une ligne d’autocar est ouverte par la SGTÉ en 1943, avec un véhicule à gazogène qu’elle loue à un transporteur privé. Desservant la cité HLM de l’Abbaye, elle sera interrompue trois jours après le débarquement en Normandie, sur injonction des occupants Allemands.
Après la guerre les autorités locales profitent de la situation de délabrement du réseau SGTÉ et des motrices (14 peuvent encore rouler sur 49) pour exiger leur remplacement par des trolleybus et des autobus. En 1946 la SGTÉ essaiera, en vain, de faire maintenir des tramways sur les parcours de Pont-de-Claix, Sassenage et Saint-Nizier.
Ainsi, les premiers trolleybus circulent sur la ligne de Montfleury en juillet 1947. C’est l’occasion de remplacer l’antique couleur bordeaux des tramways par un deux tons rouge (sous les vitres) et beige (montants de vitres et toit). En 1949 la SGTÉ achète ses premiers autocars (les premiers autobus n’arriveront qu’en 1951) pour le trajet vers Pont-de-Claix.
Le démantèlement du réseau de tramways est mené tambour battant puisque, le 31 août 1952, circule à Grenoble l’ultime engin voyageurs sur la ligne du Pont du Drac. Le remarquable parcours GVL, dont il ne subsistait que la section jusqu’à Saint-Nizier, a été anéanti le 1er avril 1949. Il faut noter que le service marchandises SGTÉ « Chaux de Pra-Paris » assuré depuis Sassenage par du matériel ferroviaire et un tracteur ferré électrique SGTÉ jusqu’à la gare SNCF Marchandises de Grenoble sera lui supprimé en 1955.
Pour accompagner la forte expansion de l’agglomération, c’est à partir de cette même année 1955 et jusqu’en 1966 que le réseau SGTÉ s’étoffe avec de nouvelles dessertes et plusieurs prolongements, tous réalisés avec des autobus.
Bizarement, ce n’est que le 26 novembre 1962, soit 10 ans après la disparition des trams-voyageurs, que la raison sociale de la SGTÉ est modifiée de « Société Grenobloise de Tramways Électriques » elle devient « Société Grenobloise de Transports et d’Entreprises ». Le sigle ne change pas.
Malgré l’augmentation de l’offre de transport, les années 60 sont à Grenoble, comme dans la plupart des villes françaises, une période difficile avec la chute de la clientèle, masquée un temps grace aux Xèmes Jeux Olympiques d’Hiver qui se tiennent en février 1968.
À cette occasion, 40 autobus flambants neufs de la RATP viennent prêter main forte à la SGTÉ sur 3 itinéraires spécifiques, intra-muros à Grenoble. 24 ans plus tard, c’est l’agglomération Grenobloise qui prêtera des autobus pour les JO d’Albertville.
La situation de la SGTÉ se dégradant de plus en plus, un Syndicat Mixte des Transports en Commun (SMTC) est créé en octobre 1973 par les élus de l’agglomération Grenobloise, en vue de relancer et de développer le réseau.
La concession SGTÉ est arrêtée 3 ans avant son terme, le 31 décembre 1974. Elle céde sa place à la SÉMITAG, Société d’Économie Mixte des Transports publics de l’Agglomération Grenobloise, reprend dès le lendemain l’exploitation du réseau dont le nom commercial devient TAG.
Ne fonctionnant pas sous le « régime risques et périls » comme ce fut le cas pour la SGTÉ, la SÉMITAG bénéficie de subventions publiques et du « Versement Transport », taxe de 1 % de la masse salariale due par les entreprises de plus de 9 employés, qui vont lui permettre de développer très rapidement son réseau. La première grande amélioration consiste à rajeunir et augmenter le parc autobus-trolleybus : de 118 engins en 1974 on passera à 239 quatre ans plus tard.
La seconde grande opération est la création d’un « tronc commun de lignes », le 2 décembre 1974, sur l’avenue Alsace-Lorraine entre la rue Félix Poulat et la gare SNCF, réservé aux transports publics et aux taxis. Il concerne 15 des 25 lignes du réseau. En avril suivant les 4 lignes de trolleybus rejoindront l’ensemble de ce tronc commun, qui fut décrié par les commmerçants… mais aussi apprécié par les usagers !
En août 1975 une gare d’échange pour bus est créée au pied du nouveau centre commercial Grand’Place, situé au sud de Grenoble.
Lors de la rentrée scolaire 1976 les « cartes à voyages » laissent la place aux tickets unitaires, avec changement de tous les oblitérateurs.
Un nouveau dépôt d’une capacité de 250 autobus et trolleybus est ouvert en avril 1977 à Eybens, pour remplacer celui des débuts de la SGTÉ rue Anatole France.
De l’automne 1977 à l’hiver 1978 cinquante nouveaux trolleybus sont acquis pour rénover, mais aussi pour étendre le réseau de ces lignes électriques (25-Meylan et 71-Eybens).
Les premiers autobus articulés sont mis en service au printemps 1978 sur la ligne 15 Gare SNCF / Villeneuve d’Échirolles (pratiquement le trajet de l’actuelle ligne de tram A).
L’ultime ligne exploitée avec des receveurs (la 2/4 : Sassenage / Grenoble / Hôpitaux) est assurée « à agent seul » en mars 1979 ; la suppression des premiers receveurs remonte à… 1954, sur la ligne 7 Saint-Égrève / Grenoble / Eybens !
Une première ligne « en rocade » (26-Grand’Place / Domaine Universitaire) est ouverte peu après la rentrée scolaire 1980.
Cette année voit aussi la création du Service PMR (Personnes à Mobilité Réduite) qui débute avec 3 minibus spécialement aménagés.
En 1986 est ouvert le second dépôt SÉMITAG à Sassenage, d’une capacité de 150 véhicules, en prévision de la transformation de celui d’Eybens, appelé à accueillir les futurs tramways modernes.
Ceux-ci sont inaugurés en septembre de l’année suivante, il y a 10 ans, sur la ligne A entre Grand’Place et Fontaine-La Poya. Le tramway moderne de l’agglomération Grenobloise est le premier au monde à être accessible aux usagers en faiteuils roulants. L’ouverture de la ligne A entraîne la restructuration d’une grande partie du réseau autobus-trolleybus, avec apparition des numéros de lignes en trentaine et cinquantaine.
L’automne 1990 voit la mise en service de la seconde ligne de tram, la ligne B Gares / Universités via le CHU.
À partir de 1992 est créé le concept « Cité Bleue » —avec changement de couleur des véhicules qui abandonnent le rouge pour un bleu et gris comme le tramway— pour identifier les lignes qui sont améliorées tant dans leur profil que leur matériel roulant : c’est la ligne 13-La Luire qui est la première concernée.
Au cours de la rentrée scolaire 1992 sont mis en service sur la ligne 33 Saint-Martin-d’Hères / Saint-Égrève de nouveaux autobus articulés fonctionnant avec un mélange de 30 % d’huile de Colza —une première nationale pour ce taux— le mélange avec le gasoil étant appelé Diester.
En septembre 1994 sont introduits pour la première fois des Ami’Bus, engins à gabarit réduit pour les lignes du pied du Vercors.
Au printemps 1996 apparaissent les premiers autobus à plancher bas facilitant l’accès à bord, également munis d’un système d’agenouillement (abaissement du côté des portes) qui permet d’accueillir un usager en fauteuil roulant ; ces bus circulent sur la nouvelle ligne 11-Comboire / Le Carina.
Le même jour le tram ligne A est prolongé de Grand’Place à Échirolles – Auguste Delaune.
En juillet 1996 la SÉMITAG reçoit le certificat de qualité ISO 9001 (premier réseau urbain de transports à obtenir cette distinction).
Enfin, un nouveau prolongement de la ligne A sera ouvert à l’exploitation jusqu’à Denis Papin, à la fin de cette année 1997, année du centenaire.
Jean-Marie Guétat, Standard 216 Histo Bus Grenoblois
Novembre 1997